100 CHEVAUX SUR L'HERBE : Bien plus qu'un Refuge soignant près de 150 équidés ​​​​​​​

ROMEO
échappé aux couteaux des Bouchers 
ANNIVERSAIRE  :  1/01/1991
ARRIVE(E) AU REFUGE  LE : 
CHEVAL DE SELLE  HONGRE  
DECEDE(E) LE 1/01/2001


Sur la foire de Maurs, un vieux cheval , épouvantablement maigre, à côté de Juliette, balançait la tête comme pour dire: «Et moi ?....»
C’était un être flétri par des années de travail, de privation.  Où est passé le magnifique cheval fringuant et insolent qu’il a dû être autrefois ?
Ce jour-là un nuage sombre envahissait et pesait sur sa vie de solitude et de souffrances : le regard d’acier et le sourire odieusement commercial et calculateur des bouchers.
Dans l’esprit surchauffé de ces égoïstes : un tel cheval ne mérite qu’à être tué et à rapporter de l’argent !
Très proche des équidés, et nourrissant une compréhensible rancoeur vis-à-vis des commerçants de viande, Irène ne permit pas qu’on assassine ce vieil esclave à 4 pattes.
Elle le baptisa “Roméo” car dans son profond malheur  ce très attachant cheval s’était déjà rapproché et lié à la jument de trait portant   désormais inévitablement  le nom de “Juliette”.

Quelques jours plus tard Irène m’envoya cette lettre...
Marc,
J’ai beaucoup de chagrin en t’écrivant ces quelques lignes, je ne peux retenir mes larmes et ai du mal à continuer, je dois t’apprendre la triste nouvelle : Roméo a quitté la vie, sans bruit, ce grand corps décharné , dégingandé, n’a pas supporté toutes les années de mauvais traitements, de privations, il est mort près de sa compagne, Juliette , qui est abattue , comme un vieux couple , elle est en deuil de son compagnon et fait peine à voir.

J’étais très attachée à Roméo en particulier d’un abord facile, il aimait “l’homme” malgré tout ce qui lui avait été infligé par celui durant sa longue vie, estimée à 30 ans environ.

J’aimais ce grand cheval pas rancunier avec les humains, toujours prêt à me suivre, à écouter ce que je lui racontais, je m’en étais éprise, déjà à la foire, j’étais tombée en amour devant lui, malgré son triste état, j’avais eu le coup de coeur pour lui et toute sa misère qu’il portait sur lui.

C’est la tristesse , la désolation, j’aurais aimé, plus que tout, pour lui tout particulièrement qu’il profite un peu d’une vie douce, agréable, aimé, choyé, dorloté, bien entretenu comme il le méritait, après avoir tant donné, tout donné à la race humaine .  Mais la vie en a décidé autrement , la mort me l’a pris sans que je puisse rien y faire, c’était inéluctable.

Il a mené une petite vie tranquille jusqu’à sa fin, en liberté, le nez dans l’herbe, avec sa compagne qui était son ombre, inséparables, indissociables , ils ne se quittaient pas d’un sabot.

L’accumulation de la fatigue, du manque de soins, de l’usure ont eu raison de lui, sa grande carcasse n’a pas supporté les années de privation, je pensais qu’il allait attendre d’arriver chez toi et enfin retrouver des années de bonheur, peut-être qui sait, comme lorsqu’il était poulain, fringuant, galopant auprès de sa mère, heureux , sans souci.  Mais le destin en a décidé autrement, Roméo est parti , au paradis des chevaux c’est sûr, il l’a tant mérité.

Je t’aimais mon grand cheval, depuis peu de temps, il est vrai mais un attachement tout particulier me liait à toi, qui avait tant souffert et qui était resté malgré cela un trésor de gentillesse, de tendresse.

Je pleure beaucoup depuis ton départ et j’aurais tellement aimé que tu puisses rester un peu plus longtemps auprès des nouveaux humains au grand coeur que tu n’as jamais connu auparavant, qui t’avaient acheté à distance (pour l’un) et choisi pour l’autre) parmi 2000 chevaux sur une affreuse foire et qui t’auraient aimé, ceux là, qui t’auraient bien soigné et auraient tenu à toi.
Tu aurais certainement pour la première fois de ta longue vie de cheval de course, de rapport, de sport et puis de labeur , enfin connu l’amour, l’affection, l’attachement, désintéressé des hommes à ta personne car tu étais “quelqu’un” Roméo, tu “valais” beaucoup plus que la plupart de mes confrères à deux pattes, qui sont souvent vils, vénaux et que je n’estime et ne  respecte pas.

Nous les protecteurs des animaux quand on sauve des chevaux usés, en état de délabrement physique avancé, on s’attend toujours à ne pas les voir vivre très longtemps, nous y sommes habitués si j’ose dire, mais cela fait toujours très mal de les perdre surtout si vite, cela arrive parfois, je me suis jamais familiarisée avec la mort de mes équidés, pourtant  j’en ai perdu un certain nombre.  C’est une peine immense dont on se ne se remet pas, qui creuse un peu plus à chaque fois dans notre coeur , pourtant rôdé  mais pas endurci par la fissure du chagrin, le sillon de la douleur et de la tristesse.

Honte aux propriétaires successifs de Roméo et au dernier qui a fini par le vendre à un boucher pour l’engraissement, par quels moments est-il passé durant ces longues années, où a-t-il vécu, chez qui, on ne peut le savoir, juste en voyant son état l’imaginer...

Adieu Roméo, je ne t’oublierai jamais... je garde de toi une image tant de douceur, de beauté malgré tout (bien que ton état fut désastreux).   Il ne me reste hélas de toi que quelques photos prises à la foire de Maurs le 24 octobre 2002 dans ton horrible cage en tubulures métalliques, quand je t’ai rencontré et t’ai aimé pour la première fois.
La malchance s’est acharnée sur toi.  Nul n’y peut rien.  Adieu mon bel ami.  Je te retrouverais peut-être un jour, qui sait ?  dans un pays imaginaire , d’où l’on ne se quittera plus.   

 Irène Rannou